A 31 ans, Alexandre Sors effectue la première boucle de sa carrière professionnelle. Il démarre son parcours à la Foire de Paris, qui a vu le jour au Carreau du Temple en 1904. Il est aujourd’hui Directeur événementiel et de développement de ce même Carreau du Temple, considérablement rénové évidemment .Il n’y a pas de hasard !
EW. Bonjour Alexandre Sors, vous entrez très tôt dans le monde des salons. Racontez-nous.
AS. Je débute au lycée international de St Germain en Laye, ma mère étant anglaise. Ceci me permet de maîtriser cette langue et d’acquérir une ouverture d’esprit dans un contexte international. En école de commerce, j’opte pour des stages de terrain. J’effectue mon premier stage au Salon International du Jouet. Je pars ensuite en Allemagne pour aider au développement de Première Vision dans la succursale allemande, puis en Guadeloupe pour participer à l’organisation de la Foire Commerciale et Artisanale de Pointe à Pitre ainsi que son festival de jazz, toujours en stage d’école, pour un salon de l’emploi et du tourisme.
EW. Vous avez donc déjà réalisé un parcours diversifié dans l’organisation de salons avant même d’entrer effectivement dans la vie active ! Désirs ou opportunités ?
AS. Ces expériences sont très formatrices et répondent aussi à mon envie de travailler dans l’événementiel. Il y a là le résultat de rencontres successives. En Guadeloupe notamment, je rencontre une personne qui a travaillé à la Foire de Paris, et en 4ème année d’école, je rejoins Comexpo Paris où je travaille aux côtés de Marie-José Post, alors Directrice de la Foire de Paris. Je suis en binôme avec Annie Suzzoni, directrice événementiel, une personne en pleine ébullition avec une foule d’idées, une fougue communicative dans l’optique d’un renouvellement permanent des animations et des opérations événementielles génériques de la manifestation.
EW. Vous êtes alors toujours en stage à Comexpo et vous allez finir par y rester. Comment cela se passe-t-il ?
AS. J’arrive à une année charnière de la Foire de Paris. C’est la 101ème édition, il faut dynamiser l’image et la cible, la rajeunir. Annie et moi proposons alors un festival musical, avec Alias qui est un gros tourneur de concerts. Je m’occupe de la programmation et aussi d’un village autour des cultures urbaines. L’année suivante nous transformons l’animation en Festival des Cultures Urbaines sur 2.000m² dans le hall 6. Des partenariats et d’autres contenus viennent enrichir l’événement, et, pour la 3ème édition, l’opération, qui doit se transformer en centre de profit, devient un salon à part entière. Il occupe alors tout le hall 8 sur 5.000 m², et accueille notamment le championnat de France de skate-board, de beatbox…
EW. La 3ème édition de ce salon a-t-elle finalement lieu ?
AS. Arrive alors la fusion entre Comexpo et Exposium et une nouvelle direction qui ne souhaite pas renouveler l’aventure car elle demeure un risque financier. Donc pas de 3ème édition !
Il avait auparavant été prévu que la 4ème édition s’extrairait de la Foire de Paris et s’installerait à la Villette, pour des raisons de maturité, de contenu et de cibles. Les 5.000m² de ce salon se trouvaient noyés dans les 220.000m² de la FDP. Nous avons donc rencontré la direction générale du Parc de la Villette, mais fusion et crise aidant, les 3 gros investisseurs n’ont pas suivi la première édition dans ce lieu, le budget total prévu étant de 1,3 millions d’€.
L’événement ne se fait donc pas, mais le Parc de la Villette est en pleine mutation et on me propose le poste de responsable du développement commercial et événementiel. Après 4 années à Comexpo, je change d’employeur, j’intègre l’Etablissement Public du Parc de la Grande Halle et de la Villette (EPPGHV).
EW. Cette opportunité semble arriver à point dans votre parcours, y a-t-il l’espace nécessaire pour que votre personnalité résolument tournée vers l’événementiel s’exprime ?
AS. J’arrive à la Villette en janvier 2009. C’est un établissement public sous tutelle du Ministère de la Culture. Sous la houlette d’Emmanuelle Gorsse, directrice commerciale, je développe la structure commerciale avec des contenus culturels.
La préoccupation essentielle est la location des espaces composés de 32 ha en extérieur et 22.000m² pour la halle. Je crée un business plan pour les 3 ans à venir. Ma problématique est de prospecter, remplir la halle, en faire un centre de profits, avec des contenus culturels cohérents avec l’espace et l’environnement. Je m’enrichis donc des aspects culturels. Je développe des nuits électro comme We Love Art, Soulwaxmas ou Edbangerland et le festival Pitchfork. Je suis musicien et passionné de grands événements festifs, je peux exploiter ces passions à la Villette.
EW. Vous réalisez le tour de force de lier la vie de tous les jours et le travail, beaucoup vous envieraient !
AS. Effectivement, à la Villette, je commence à goûter à cela, j’apprécie mon quotidien. Je développe quelques salons, un certain nombre sont déjà en place, comme l’Aiguille en Fête dont j’ai accompagné le développement. Je m’axe résolument dans le domaine événementiel, festivals et opérations one-shot.
Trouver les passerelles entre l’activité commerciale et l’activité culturelle est particulièrement intéressant pour moi.
Sur 40 millions d’€ de budget à la Villette, environ 3,2 millions d’€ de recettes sont le fait des locations. Je m’épanouis vraiment sur le site, mais l’établissement offre cependant peu de perspectives d’évolution. Au bout de 4 ans, je pense avoir fait le tour.
EW. Que se passe-t-il ensuite ?
AS. Je prends connaissance d’une annonce très intéressante de recrutement d’un directeur du développement et de l’événementiel au Carreau du Temple. Sur les 380 candidats au poste, 11 se retrouvent en short liste et 5 sont auditionnés. Je suis l’heureux vainqueur final.
Le Carreau du Temple appartient à la Ville de Paris. L’enclos du Temple existe depuis le XIIIème siècle, démoli, reconstruit, une halle est construite vers 1850, en 1904 s’y déroule la première Foire de Paris. Une activité de commerce s’y développe au cours du XXème siècle, parfois des événements ponctuels. Début 2000, à l’initiative de la Mairie, la mairie lance des appels d’offre pour réhabiliter le site et les habitants du 3ème arrt sont consultés. Le cabinet Millou emporte le marché.
Le résultat est remarquable qui permet la polyvalence souhaitée du lieu : activité sportive, associative et accueil des scolaires, programmation culturelle dans l’auditorium avec de grands weekends thématiques entre autres l’identité africaine à Paris, la street food, le cirque contemporain…), et activité événementielle.
EW. Autre lieu, autre gouvernance, qu’apprenez-vous ?
AS. L’objectif qui m’est proposé est la préfiguration, un an avant l’ouverture officielle, de l’espace. Il s’agit de faire en sorte que le CDT puisse accueillir des événements prestigieux, des salons d’art contemporain ou de gastronomie, des opérations vintage et des événements corporate. Donc à la fois du grand luxe avec une technographie compliquée et des événements beaucoup plus simples (un salon du recrutement par exemple). J’apprends beaucoup en technique et en bâtiment. Compte tenu des besoins, nous remettons à plat quelques modèles techniques, nous cassons des murs, élargissons des portes, dopons la puissance électrique, réalisons des circulations supplémentaires… 1,5 millions d’€ de travaux sont ajoutés à la prévision initiale pour apprêter au mieux le lieu et lui permettre de remplir sa feuille de route sur ses 3 axes de destination.
EW. Qu’apportez-vous concernant l’événementiel, puisque vous en êtes le directeur ?
AS. Le modèle économique du CDT est particulier, le budget est assuré au tiers par une subvention de la direction des affaires culturelles de la ville (cette subvention couvre les salaires) et aux deux autres tiers par les ressources propres d’une société d’économie mixte. Après quelques temps d’activité, la répartition de ces ressources est la suivante : 80% par les activités locatives, 10% par les partenariats et 10% par la billetterie).
Les secteurs et interlocuteurs étant identifiés, mon expérience aidant, j’actionne les leviers organisateurs de salons, annonceurs et agences événementielles. Je fais jouer le réseau avant tout.
EW. La cohérence du lieu avec son environnement est nécessaire. Que mettez-vous en place pour cela ?
AS. Le 3ème arrondissement, très « bobo », est le plus petit de Paris en terme de population : 34.000 habitants seulement, une grosse catégorie CSP+, en tout cas tendance et branchée. Nous avons cette mission de service public au niveau de l’activité sportive et associative, nous avons une programmation culturelle qui se veut dans l’émergence et sur l’événementiel, nous attirons des contenus qui ont ce tronc commun d’attente des habitants : l’art contemporain, la gastronomie et les vins, la mode, le design et la culture au sens arts du spectacle, arts vivants.
Cet ADN est propre au lieu évidemment, on le retrouve partiellement dans d’autres lieux parisiens comme le Palais de Tokyo, la Cité de la Mode et du Design, voire le 104.
80% de l’activité de la Halle est l’événementiel, qui est donc de mon ressort.
EW. Quel est votre style de rapports avec vos clients ?
AS. Notre taille nous permet d’accompagner les organisateurs. Un salon de luxe ne pourra pas être traité de la même façon qu’un salon du vintage. Sans prétention, nous participons à la professionnalisation de certains organisateurs. Il m’arrive d’aller chercher des petites expos dans de petites salles, et d’accompagner leur développement au Carreau du Temple. C’est le cas de Sneakers Event, initialement au Quartier Général sur 300m² dans le 11ème arrt, la deuxième édition au CDT a vu l’affluence de 7.000 visiteurs en une journée avec des stands pleins 3 mois avant.
C’est le cas également du Vide Dressing Géant de Violette Sauvage, du Salon du Vintage ou encore dernièrement du Salon Exposition « The Bike Shed » que je suis allé chercher à Londres.
EW. Vous permettez à des manifestations de s’accroître, ne prenez-vous pas le risque, du fait de votre taille, de voir partir les manifestations que vous aurez accompagnées dans leur développement ?
AS. Quand on replace notre taille de halle au sein du Haut-Marais, c’est un lieu gigantesque ! Un plateau de 2.000m² au milieu d’un dédale de petites rues. Nous avons la taille critique pour des créations de salons, pour des salons de niche, ce qui est parfait puisqu’on vise le design, l’art contemporain, la gastronomie et les vins.
Nous mettons en place un certain nombre de prestations pour que l’accueil se passe au mieux.
Nous avons signé un accord avec Saint Laurent en 2014 et 2015 pour les défilés hommes et femmes, le salon leader en dessin contemporain, Drawing Now, est au CDT, ainsi que la foire off de la FIAC, la YIA, le vrai rendez-vous off selon les professionnels du métier. D’autres rendez-vous viennent pimenter la programmation événementielle.
EW. Avez-vous quelque chose à ajouter à propos de votre fonctionnement d’équipe ?
AS. Dans la vingtaine de personnes qui collaborent au CDT, j’ai une toute petite équipe qui s’occupe également des partenariats. Mon adjointe, Nathalie Goncalves, qui vient d’ailleurs de la Villette, et moi formons un véritable binôme. Il me paraît plus qu’honnête de la joindre au succès de mes actions. Les réalisations sont à 50% salons et 50% événementiel.
Grâce à notre dynamique, le gros du travail est derrière nous. Le calendrier est complet sur 2015 et nous travaillons aujourd’hui pour le 1er semestre 2016, ce qui n’est pas l’habitude pour des sites de taille humaine en m².
EW. Quelles sont vos perspectives au sein du CDT ?
AS. Ma mission, au-delà de la programmation commerciale et événementielle qui est quasiment réalisée, est la poursuite de ma mission d’accompagnement pour la montée en puissance des salons et événements que nous accueillons. Je vais maintenant aussi m’atteler aux développements des partenariats et du mécénat.
Deux nouvelles co-directrices vont prendre rapidement leurs fonctions et apporteront un nouveau souffle au lieu, avec leurs expériences culturelles et muséographiques.
Pour ce qui concerne mon avenir à terme, je crois beaucoup à l’étranger et au dynamisme de certaines cités qui vont comprendre que mélanger l’événementiel et l’artistique et le culturel est inscrit dans le futur. Je pense à Singapour, à Dubai… qui ont encore un avenir en salons, en festivals, en gros événements sportifs. Je pense aussi à d’autres villes déjà bien installées mais qui se renouvellent sans cesse, comme New York, Londres, Sydney…
Pour l’instant je suis bien au Carreau du Temple et ai encore beaucoup de développements à y opérer.
EW. Merci Alexandre Sors, rendez-vous donc à Dubai ou Singapour dans quelques années…
Propos recueillis par Eric Watiez pour la Gazette des Salons