Erick Sez (prononcer Sé), 60 ans, parisien d’origine, est le directeur de Paris Event Center, le nouvel espace d’exposition à Paris, Porte de la Villette. A l’origine spécialiste de l’acoustique dans des lieux inédits, sa rencontre avec Bernard Jaulin a décidé ses choix dans la seconde partie de sa carrière. Il nous explique ce riche cheminement…
Eric Watiez : Bonjour Erick, votre parcours est essentiellement technique en indépendant. Vous êtes cependant aujourd’hui attaché au groupe Jaulin en tant que directeur de site. Pouvez-vous nous expliquer cette évolution ? Commençons par le début…
Erick Sez : Bonjour Eric, il y a du vrai dans ce que vous dites malgré que je demeure toujours libre de moi-même après 43 ans de carrière. Je passe un Bac scientifique, je m’oriente vers des études techniques, et me spécialise dans l’acoustique en architecture, domaine qui m’intéresse depuis mon enfance. Je suis parallèlement musicien amateur classique et je trouve qu’il y a des améliorations à apporter dans l’acoustique des salles.
Pour compléter mon diplôme, j’intègre les Arts et Métiers pour parfaire ma formation sur l’acoustique des matériaux. Je mets tout cela en pratique avec des cabinets d’architecture sur des dossiers qui ne répondent pas tout à fait à mes ambitions puisque je travaille alors sur des projets de traitement acoustique de surfaces de bureaux, dossiers dans lesquels il faut faire preuve de pragmatisme face au côté fonctionnel qui reste prioritaire.
EW. Vous êtes très pointu dans vos choix dès le départ. Vos passions annexes guident-elles également vos orientations ?
ES. J’ai une activité musicale, ainsi qu’une activité de théâtre, que je mène avec des amis pour le plaisir. L’un d’entre eux est appelé à prendre la direction artistique du festival de musique classique de Saint-Denis. Je collabore avec cet ami pour améliorer l’acoustique des lieux de concert de ce festival, églises et divers lieux classés monuments historiques. Il s’agit de trouver des solutions pour les rendre moins « réverbérants ».
Au fil du développement du festival, nous nous rendons compte des problèmes logistiques à gérer et je suis amené à régler des missions plus logistiques comme la mise en place des équipements scéniques et artistiques, la création d’espaces techniques (loges d’artistes, structures de billeterie, etc.). Je commence ma carrière de cette façon, j’ai 23 ans.
EW. D’autres missions s’enchainent-elles alors ?
ES. De fil en aiguille, d’autres clients, d’autres festivals, me contactent. Je prends la direction technique d’un grand festival de jazz, Banlieues Bleues, supporté par le Conseil Général de la Seine-Saint-Denis. J’y collabore pendant un peu plus de 20 ans.
J’ai une forte activité en Seine-St-Denis, le Conseil Général me demande de prendre en charge le Salon du Livre de Jeunesse à Montreuil. Ce dernier se tient sur 20.000m² de structures agréées CTS sur la place de la mairie. Je m’en occupe pendant un peu plus de 20 ans également, parallèlement à d’autres activités, comme le Festival de Jazz de la Défense, le TBB Jazz Festival de Boulogne-Billancourt, le Printemps de Bourges et plein d’autres que j’oublie.
EW. Intégrez-vous ou créez-vous une structure juridique pour gérer ces activités ?
ES. J’ai toujours été freelance. En demeurant sur les domaines de la musique classique et du jazz qui m’intéressent, j’ai plus de possibilités pour demeurer libre de mes choix et de mon fonctionnement.
Avec Montreuil, je suis confronté à l’aménagement de structures d’événementiel sous tentes en grandes capacités. Rares sont à l’époque les fournisseurs qui proposent des structures en 50 mètres de portée libre. J’apprends.
Sur un chantier pourtant récurrent, un de mes fournisseurs de structures ne respecte pas ses engagements à quelques semaines de la mise en place et je vais rencontrer Bernard Jaulin. Ce dernier me sauve l’affaire et forcément je m’en souviens pour la suite.
EW. Vous êtes très lié professionnellement au département 93…
ES. Oui c’est vrai. De par mon attachement à la ville de St Denis, j’ai la chance de pouvoir collaborer à trois événements importants liés à l’arrivée du Stade de France, j’y gère les villages de convivialités (que l’on nomme maintenant fan zones) lors de la Coupe du monde de foot en 1998, puis sur des programmes scènes plein air, les Championnats du monde d’athlétisme en 2003, la Coupe du monde de rugby en 2007. Aujourd’hui, on me propose de collaborer à l’animation artistique de la Fan zone de St Denis pour la prochaine Coupe d’Europe de foot en 2016.
Ainsi, parallèlement à mes activités avec le groupe Jaulin, je conserve la liberté de servir des manifestations privées qui m’intéressent.
EW. Vous semblez être très fidèle à vos clients…
ES. Effectivement. Je peux ajouter encore le Salon de l’Aéronautique du Bourget qui fait appel à moi, de par ma connaissance du monde des CTS et des chantiers itinérants. J’y suis responsable des constructions depuis 13 salons, soit 26 ans.
En tant que freelance, j’ai donc relativement peu de clients, j’ai toujours privilégié la durée.
EW. Racontez-nous l’évolution de vos rapports avec Bernard Jaulin. Quel type de contrat avez-vous avec son groupe ?
ES. J’intègre le groupe Jaulin il y a un peu plus de 7 ans. Je réduis alors mes autres activités. Je monte néanmoins un « gentleman agreement » avec Bernard Jaulin qui me permet de continuer de réaliser certains projets et donc de rester actif dans tous les secteurs de l’événementiel.
De fournisseur, Bernard Jaulin devient, au fil du temps, une relation d’amitié. Quand il développe ses entreprises au sein de son groupe, quand il a des projets, nous nous rencontrons de façon informelle, nous échangeons sur nos pratiques, sur le business, tout cela dans esprit d’échange.
Dans ce cadre, lorsqu’il prend la décision d’ouvrir son propre lieu événementiel sur Paris, il me demande conseil.
EW. Comment se passent vos débuts de collaboration pour la Halle Freyssinet ?
ES. Simultanément aux nécessaires travaux, Jaulin démarre l’exploitation avec un régisseur événementiel et une commerciale. Mais très rapidement, Bernard Jaulin me propose de prendre la responsabilité du site pour structurer l’ensemble. Je termine alors la campagne de travaux et réalise le classement ERP du bâtiment, qui est un énorme travail administratif, je crée une vraie direction commerciale et une vraie direction d’exploitation, tout en m’appuyant sur les ressources du groupe.
Jaulin dispose de plusieurs sociétés complémentaires dans l’événementiel : Jaulin SA s’occupe de l’aménagement et la décoration de l’exposition, Fonction Meubles gère la location de mobilier, Light Event est spécialiste de la lumière, Adecor réalise des aménagements sur mesure. La Halle Freyssinet est en premier lieu une vitrine du groupe. L’évolution des métiers de l’événement impose aux entreprises d’avoir leur lieu , ce qui permet d’une part d’être force de proposition auprès de nos clients fidèles et d’autre part de conquérir de nouveaux marchés et apporter de nouvelles perspectives aux filiales du groupe.
EW. Qu’organisez-vous à la Halle Freyssinet ?
ES. Nous y organisons principalement deux types de manifestations. Les événements d’entreprise, congrès, présentations de produits, convention, etc. représentent environ 45% de notre chiffre d’affaires ; la mode est également un secteur qui a contribue à faire connaître le site. Le reste de l’activité représentant 55% est constitué des salons grand public ou professionnels.
Les gens de la mode sont friands de nouveaux lieux atypiques. Pour les événements privés, nous avions l’avantage d’un lieu empreint de personnalité, accessible et de taille intermédiaire.
EW. Bernard Jaulin et vous avez eu un vrai coup de cœur pour la Halle Freyssinet, n’est-ce pas ?
ES. Notre arrivée à la Halle Freyssinet a réveillé les passions pour ce site représentatif du patrimoine industriel du début du siècle. Face aux enjeux de réhabilitation du secteur, Il y a eu mobilisation d’associations de protection du patrimoine, d’architectes de Monuments Historiques, des Bâtiments de France et d’autres amoureux de l’architecture industrielle. Nous avons soutenu ce mouvement pour l’attachement que nous avions du site. Ce coup de cœur était justifié par la qualité historique et la qualité technique du site. Ces actions ont débouché sur l’inscription du bâtiment à l’inventaire des monuments historiques.
Ma mission dure 5 ans et demi jusqu’à ce que la Halle soit restituée à la SNCF, à l’issue de notre contrat, et lorsque Xavier Niel se porte acquéreur du bâtiment pour y installer sa pépinière informatique.
EW. Suit alors votre arrivée à la Porte de la Villette ?
ES. Les choses s’enchaînent rapidement. La SNCF, avec laquelle nous avons de bonnes relations, est propriétaire du site de la Porte de la Villette, où se trouvaient les anciens entrepôts de France Boissons. Ce site de 48.000 m² se rendant disponible, bon hasard de la vie, nous signons le bail début janvier 2014. Prouesse technique de notre part, sans avoir de passe-droits pour le permis de construire, nous ouvrons les deux bâtiments événementiels le 1er septembre de la même année.
Nous démolissons la quasi-totalité du site, le réaménageons aux normes techniques requises pour la destination événementielle du lieu, critères ERP 1ère catégorie, alarmes incendie, désenfumage, etc., et, en 7 mois nous ouvrons nos 2 halls actuels sur 12.000 m² et 800 m² de bureaux. Une partie de ces bureaux est mise à disposition des clients pour leur commissariat général, le back office, les vestiaires ou autres zones de réception privées.
EW. Comment s’opère le transfert clients de la Halle Freyssinet au nouveau site de la Porte de la Villette ?
ES. Le dernier client de la Halle Freyssinet réalise son événement mi juillet 2014. Nous profitons alors de la période d’été traditionnellement plus calme pour notre activité, pour faire une transition douce d’un site à l’autre. Nous avons une excellente réputation d’accompagnement auprès de nos clients, et ainsi, une grande partie d’entre eux nous suivent dans l’aventure, 80% des clients récurrents environ. Le déclenchement est un peu plus long avec le secteur de la mode qui ne dédaigne cependant pas maintenant à venir à Paris Event Center.
Le site comporte d’excellents atouts, de larges espaces sans poteaux, 700 places de parking intrasite, le métro à 50 mètres…
EW. Qu’en est-il de votre équipe de la Halle Freyssinet ?
ES. Tout le monde suit, sans que nous ayons besoin d’embaucher, la taille des espaces événementiels étant équivalente. Nous renforcerons l’équipe lorsque le 3ème bâtiment sera achevé. Le parc est géré in-situ par un encadrement technique qui s’appuie sur les forces opérationnelles du groupe. Mon équipe est composée de 7 personnes réparties dans le commercial, le technique et le secrétariat.
EW. Pour la 1ère année d’exploitation, êtes-vous satisfait ? Quel est votre taux de remplissage ?
ES. L’activité ayant démarré en septembre, 2014 n’est pas une année pleine. Nous avons accueilli à ce jour une cinquantaine d’événements pour 160 jours d’occupation. Notre objectif est de 200 jours d’occupation par an répartis dans l’événementiel, porteur du fait de durées d’occupation et de prestations fournies plus importantes, tout en continuant à développer notre politique d’accueil de salons.
EW. Comment répartissez-vous votre vie professionnelle ? Et votre fin de carrière ?
ES. L’essentiel de mon temps est consacré à Jaulin et Paris Event Center. Parallèlement, je me garde quelques activités de festivals, opérations musicales et quelques chantiers pour lesquels j’éprouve toujours de l’envie. Ma mission pour l’Euro de Foot, est particulière, elle est due à la fidélité que j’ai depuis toujours avec la ville de St-Denis.
Pour la suite et fin de ma carrière professionnelle, je vais me donner le temps d’organiser ma succession à la direction du site, de transmettre mon savoir et mon expérience, afin de le faire vivre le plus longtemps possible.
EW. En conclusion, au regard de votre expérience, quelles qualités retenez-vous pour atteindre l’excellence dans le métier ? Quelles spécificités font que vous êtes en phase avec Paris Event Center ?
ES. C’est au prix de la passion et de l’appropriation du lieu que je réussis ici. C’est aussi la rencontre de certaines personnes qui fait que j’ai envie de dépasser ma mission de loueur d’espaces et d’aménageur, elle permet de gommer la notion client-fournisseur et renforce l’implication.
Je prends un grand plaisir à travailler avec des agences qui ont de vrais projets atypiques et décalés, avec des gens déjantés, créatifs et un peu fous. Je me souviens de cet avion éclaté que nous avions accroché au plafond pour un événement de mode. C’est pour ce type de défi technique et la conviction commune que je me surpasse.
La spécificité de Paris Event Center, qui est de mobiliser les forces du groupe Jaulin, permet ce type de réalisations de la réflexion à l’achèvement, et c’est cela qui me plaît.
Propos recueillis par Eric Watiez pour la Gazette des Salons