Inutile de revenir sur le fait que le secteur des foires et salons est une des premières victimes de la crise sanitaire liée au coronavirus et au confinement qui en découle. Au-delà des généralités, des regrets et recommandations « d’experts » qui fleurissent sur les réseaux sociaux, nous avons souhaité recueillir les témoignages de professionnels du secteur et faire part de leurs initiatives.
Les organisateurs de salons ont été les premiers impactés, et plus particulièrement ceux dont les manifestations se tenaient à la mi-mars. Beaucoup d’entre eux se virent contraints d’exécuter une valse-hésitation sur l’air de « j’ouvre ou j’ouvre pas », entraînant dans cette danse infernale leurs exposants et prestataires. Ils ont du jongler avec des paramètres comme le fait d’accueillir plus de 1000 personnes en même temps ou de dépendre d’un préfet plus ou moins conciliant. Cette période de flou artistique qui a vu quelques très rares manifestations passer entre les gouttes s’est arrêtée brutalement par l’interdiction des manifestations de plus de 100 personnes puis par l’annonce du confinement total le 16 mars.
Casse-tête chinois pour les organisateurs
Nous sommes depuis rentrés dans le cycle des annulations pures, mais surtout des reports avec un embouteillage jamais vu dans les parcs d’expositions à l’automne. A l’occasion de cette partie de bataille navale sur la carte des plannings, certains organisateurs ont fait le pari d’exploiter les périodes habituellement désertées, comme la Foire de Paris qui se tiendra du 4 au 15 juillet 2020. Un choix qui ne concurrence pas la foire d’automne et peut trouver un public n’ayant pas encore fuit l’Île de France pour la grande migration estivale.
Cyril Lecomte, le responsable d’Affipub organise une dizaine de salons et foires en Picardie, la région française qui a été touchée par les premiers cas de Covid-19 à Creil et Compiègne. L’interdiction immédiate des rassemblements de plus de 50 personnes qui s’en est suivie signifiant l’annulation de toutes ses manifestations, Cyril Lecomte a du mettre ses salariés en chômage partiel dès le 15 mars, juste avant la saturation des services en ligne… le seul avantage a avoir été les premiers impactés, et une bien maigre consolation. Il envisage de reporter la Foire de Saint Dizier initialement prévue en mai, au mois de juillet comme la Foire de Paris. Le patron d’Affipub pense également repositionner la Foire de Beauvais en septembre. Il doute également que le monde de l’événementiel puisse absorber l’ensemble des manifestations, prévues ou reportées, entre septembre et novembre. Même en admettant qu’on trouve de la place dans les parcs d’expositions, faut-il encore que les exposants et les visiteurs soient au rendez-vous… Les incertitudes sont nombreuses, et ce n’est pas la difficulté à joindre les exposants qui redonne du baume au cœur. Seules certitudes pour Cyril Lecomte : la fin du confinement ne sera pas la fin du problème. L’unique note d’optimisme pour ce producteur d’événements régionaux vient de la tendance à la relocalisation provoquée par cette crise sanitaire planétaire. Il espère que le moment venu, exposants et visiteurs sauront se montrer solidaires pour un redémarrage vital à toute l’activité économique locale.
Les parcs d’expositions, entre initiatives solidaires et désabusement
Du côté des parcs d’expositions également, la crise sanitaire est ressentie durement. Christophe Caillaud-Joos, Directeur Général de Tours Evénements constate comme tous ses confrères, une activité totalement inexistante, 100% de son chiffre d’affaires ayant été annulé entre début mars et fin Mai. Il affirme que « des doutes persistent encore sur l’activité de Juin mais la tendance n’est pas bonne, au moins jusqu’à mi-Juin. C’est la jungle des reports toutes activités confondues, des concerts en passant par nos salons, Foire, Festival et par l’accueil de nos manifestations accueillies ».
Sur 84 collaborateurs de Tours Evénements, les 3/4 sont en chômage partiel ou arrêt de travail, quelques-uns en astreinte technique et une bonne quinzaine en télétravail. Christophe Caillaud-Joos évalue la perte aux alentours de 5 M€ de CA en ce qui concerne Tours Evènements. « Heureusement que nous avions reconstitué notre trésorerie ces deux dernières années pour pouvoir affronter ce choc terrible. Cela fait partie des aléas de la vie économique, il faut donc l’accepter et plus que jamais penser des solutions « Out of the Box » pour jongler avec des dates, des reports, imaginer la reprise. Pour résumer, sang-froid et créativité sont au cœur de notre activité du moment ». Interrogé sur l’implication de son écosystème, il reconnait avoir apporté sa réflexion à la filière événementielle avec l’idée de mettre à disposition les palais des congrès et parcs expos pour recevoir les malades en cas de besoin. Il se félicite que l’idée ait été reprise par l’Unimev. « J’en suis heureux. Soyons utile à la Nation, comme nous le pouvons ».
En revanche, il avoue un certain mécontentement : « le plus déroutant est de constater le manque de solidarité criant de quelques grands groupes vis à vis des engagements pris lors de la signature de contrats sur des manifestations qu’ils souhaitent décaler, voire annuler. Il y a une vraie différence entre les paroles et les actes. D’un côté, on prône la solidarité mais la réalité est beaucoup moins glamour et je ne suis pas le seul site touché par ce phénomène. Des grands clients nous demandent de les soutenir en faisant des prix, en ne facturant pas tout, même en cas de report, en voulant négocier sur tout. Difficile de refuser quand un client pèse et qu’il vous fait comprendre que vous n’êtes pas seul sur le marché… C’est un comportement affligeant quand je pense à tous nos sous-traitants, TPE, hôtes et hôtesses, intermittents du spectacle, serveurs, cuisiniers etc. qui subissent massivement la crise économique. Je n’ai aucunement l’impression que certains grands donneurs d’ordre peu touchés directement par le Covid-19 (banques assureurs par exemple) ne se soucient de l’avenir de la filière événementielle, à l’agonie en ce moment ». Christophe Caillaud-Joos conclue toutefois « A Tours Evènements, nous sommes et serons très vigilants à soutenir nos petits fournisseurs dans cette période trouble ».
Sous l’égide de l’UNIMEV, une trentaine de gestionnaires de parcs d’expositions français se sont portés volontaires pour contribuer à la lutte contre la pandémie. Dans la capitale, on peut noter la démarche de Viparis, qui accueille un centre de dépistage Covid-19 sur le parking du parc des expositions de la porte de Versailles.
UNIMEV, afin de dresser un premier bilan de l’impact du Coronavirus Covid-19 sur la filière événementielle, a lancé un questionnaire en ligne. Ceci permettra également d’informer les partenaires institutionnels de la profession (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Ministère de l’économie et des finances, MEDEF, Confédération des Acteurs du Tourisme) à partir de données factuelles. Nous vous encourageons à le remplir pour enrichir cette base d’informations utiles à toute la filière.
Les prestataires tiennent bon, jusqu’à quand ?
Pour les rares personnes qui ne le connaîtraient pas, Fabrice Laborde est le président de Créalians, la fédération française des métiers de l’exposition et de l’événement. Il est également fondateur et président de Galis Group et du LEADS. Interrogé sur l’incidence de la crise sur son écosystème, il tient en préalable à saluer l’action des pouvoirs publics qui ont été très réactifs pour venir au secours des entreprises touchées par cette situation inédite. Comme la plupart de ses pairs, il s’interroge sur la date de sortie de crise « si la période d’inactivité se prolonge au-delà de 3 mois, même des entreprises solides vont souffrir. L’immense majorité de la profession a fait le nécessaire pour franchir le cap, aidés en cela par UNIMEV et le LEADS qui ont mis en place une assistance et des outils utiles sur le web. Il faut vraiment que les commandes repartent au plus tard en juin pour un redémarrage de l’activité effectif en septembre ».
Au-delà des agences de design de stand représentées par le LEADS et des prestataires de l’expo réunis au sein de Prestalians, c’est bien l’ensemble de l’écosystème événementiel dans toute sa diversité, qui subit les effets de cette crise mondiale.
Ainsi, en première ligne, les services de billetterie en ligne voient leur activité très fortement réduite. Pierre-Henri Deballon, le co-fondateur de Weezevent, 2ème acteur du secteur admet que « c’est grâce à la procédure de chômage partiel et à une trésorerie saine que nous pourrons passer la cap ». Il n’imagine pas à ce jour un retour à un volume d’activité « normal » avant 2022. La suite nous dira si cette vision est pessimiste ou simplement réaliste ? En revanche, les pires crises ayant toujours stimulé la créativité, celle que nous vivons a permis à Weezevent de développer et mettre à disposition des organisateurs des outils de remboursement à la carte, et de les accompagner dans une logique de report des manifestations.
L’ensemble de la filière événementielle impacté par la crise
Les traiteurs représentent également un indicateur significatif. Cyril Yvet, de la maison Poirier n’hésite pas à employer le mot « hécatombe » pour décrire ce que son entreprise est en train de vivre. « Depuis la fermeture anticipée du Salon de l’Agriculture, les annulations d’événements s’enchainent en cascade. Nous avons tenté d’anticiper nos prises de décision en observant ce qui se passait en Italie les premiers jours. Nous avons fait en sorte de piloter cette crise sans précédents de la manière la plus humaine possible, en évitant tout licenciement parmi nos 20 salariés grâce à la mesure de chômage partiel mise en place par le gouvernement. Nous espérons que cette mesure salutaire sera reconduite autant que besoin ». Ayant fait partie des premiers impliqués, il espère faire partie des premiers à repartir dès que la situation le permettra, estime t’il pour apporter une touche optimiste.
Pas d’événements sans mobilité, et tous ceux qui contribuent aux déplacements des exposants et visiteurs sur les salons sont touchés de plein fouet. La cinquantaine de chauffeurs VTC auxquels fait appel la société Event Mobility France pour gérer les flux vers les parcs d’expositions ont vu leur activité réduite de 80%. Le faible pourcentage restant n’est lié qu’à des transports de particuliers se rendant sur leur lieu de travail. Faisant « bon cœur contre mauvaise fortune », Le responsable de l’entreprise, monsieur Irrilo met son temps libre à profit pour développer de nouvelles fonctionnalités pour son application, travailler les prospections futures et faire la chasse aux impayés anciens.
Il aimerait aussi profiter de cette période très particulière pour entretenir le dialogue avec ses donneurs d’ordres organisateurs de salons et envisager ensemble l’avenir. Il espère que les grands comptes prennent leurs responsabilités vis-à-vis de leurs fournisseurs, en réglant sans trop attendre les factures liées à des interventions d’avant crise. Un souci que dénoncent nombre de PME et TPE du secteur, qui ont parfois le sentiment de servir de banquier à des clients dont la trésorerie est pourtant plus solide que la leur.
Observateur attentif du monde des événements, Martin Jouët le fondateur de DÖT, entreprise de coordination SPS, estime que la course aux gains à court terme a paupérisé et fragilisé un grand nombre d’acteurs et prestataires du secteur. L’arrivée de nouveaux acteurs dans le monde des salons aspirant à une rentabilité immédiate a profondément déstabilisé un grand nombre de PME du secteur. Il espère que « ce qui est en train de se produire servira d’alerte pour reconsidérer l’ensemble de la filière événementielle et redistribuer les cartes vers davantage de proximité et de solidarité« .
Un plan d’économie de 40 millions d’euros chez GL
Du côté des grands groupes auxquels font référence plus ou moins implicitement les PME de la filière, le message semble passer et des premières mesures sont prises.
Ainsi, le groupe GL, est quasiment à l’arrêt avec 2 240 salariés au chômage partiel. En tant que gestionnaire de parcs d’expositions en Chine, le groupe Lyonnais a ressenti avant tout le monde les effets de la crise liée au Covid-19. A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle : Les actionnaires de GL events devront donc tirer un trait sur les 0,72 euros de dividende qui avaient été annoncés sur l’exercice 2019. Cette mesure radicale permettra au groupe de conserver 30 millions de trésorerie dans ses caisses. Une décision prise le 26 mars par le conseil d’administration de l’entreprise lyonnaise qui répond aux propos de Bruno Le Maire, ministre de l’économie qui avait souhaité que les entreprises mettent un frein important à leurs dividendes ; la CFDT appelant, elle, à la suppression desdits dividendes.
Pour Olivier Ginon, président de GL events, « face à l’ampleur de la crise sanitaire mondiale liée à la propagation du Covid-19, notre priorité est d’assurer la protection de nos collaborateurs et de toutes nos parties prenantes. GL events prend toutes les mesures indispensables sur la base des recommandations des autorités sanitaires et gouvernementales compétentes. Afin de garantir la continuité de l’activité, le Groupe adapte ses modes de travail pour assurer la qualité de ses services de manière totalement sécurisée. »
Face à cette baisse significative d’activité, un plan d’économie drastique de 40 millions d’euros « a été décidé afin de concentrer l’utilisation de la trésorerie sur les besoins stratégiques du Groupe tout en maintenant une organisation adaptée en prévision du redémarrage de l’activité ». Pour le groupe, face à l’ampleur de cette crise, « il est indispensable que des mesures fortes de relance soient mises en œuvre pour permettre le rebond rapide, après la crise, de l’ensemble des acteurs de la filière française ».
L’ensemble de la filière souhaite évidement qu’un tel sursaut soit accompagné autant que possible par les pouvoirs publics, français et européens. En revanche, au fil des témoignages recueillis il est évident que c’est bien l’ensemble des acteurs qui devront prendre leurs responsabilités pour que la machine reparte. A ce jeu là les grands groupes seront les premiers attendus, et leur sens des responsabilités pèsera lourd dans la préservation du tissu économique lié aux événements. Nous espérons vivement que cette prise de conscience ait lieu, et qu’au-delà de la préservation de l’existant, elle permette d’envisager la suite sur des bases lucidement solidaires. La meilleure arme pour faire face dans les années à venir aux nouvelles crises qui ne manqueront pas d’arriver, qu’elles soient sanitaires, économiques, climatiques, ou autres…
Cet article a été rédigé suite à un appel à témoignages lancé par la Gazette des Salons le 26 mars 2020. Seuls les professionnels du secteur s’étant manifestés à cette occasion ont pu être pris en compte.