Le fait est nouveau : les instances dirigeantes de notre pays s’intéressent enfin à la filière événementielle. Un secteur qui devrait parler à tout le monde, du visiteur de salon jusqu’aux jeunes mariés, mais jusque-là méconnu des pouvoirs publics en tant que filière professionnelle. Paradoxalement, ceux dont le métier consiste à organiser la rencontre entre humains, ont certainement péché par un excès de discrétion quand il s’agit d’organiser leur propre mise en scène. Dans une société où la brutalité est devenue spectacle et dans laquelle la reconnaissance passe par le clash, ils ne se sont pas distingués en déversant du fumier devant les préfectures, ni même en tentant de bloquer le moindre rond-point. Non, les professionnels de l’événement se sont fait récemment connaitre tout à fait pacifiquement « à la faveur » d’une crise sanitaire inédite qui a révélé leur talon d’Achille : lors d’une pandémie mondiale, pas question d’organiser la moindre rencontre physique sous peine de faire flamber la contamination.
Depuis bientôt deux ans, Plus de 300.000 professionnels se sont ainsi retrouvés devant l’impossibilité d’exercer leurs métiers. Heureusement le gouvernement a été à l’écoute des instances représentatives des métiers de l’événement, et la filière a été en grande partie sauvée en bénéficiant du fonds de solidarité levé au nom du fameux « quoi qu’il en coute ». Aujourd’hui, après l’impact positif d’une première reprise enregistrée à l’automne 2021, tout semble prêt pour engager la reconquête des publics et retrouver les chiffres de 2019, voire les dépasser.
Malgré un horizon qui semble se dégager, tout ne sera pas réglé et rien ne sera plus comme avant pour la filière. La crise sanitaire a accéléré les mutations déjà prévisibles. Il s’agit maintenant de ne pas rater les bons wagons et de n’oublier personne sur le quai. C’est pour mieux comprendre tous ces enjeux et proposer des pistes d’accompagnement qu’un rapport d’information parlementaire sur l’impact de la crise de la covid-19 sur le secteur événementiel a été déposé par la commission des affaires économiques de l’assemblée nationale. Il a été présenté le 19 janvier par les députés Philippe Naillet (parti socialiste) et Corinne Vignon (LREM). La mission d’information étant également composée de Marguerite Deprez-Audebert, Graziella Melchior et Anne-Laurence Petel.
Après avoir auditionné près d’une cinquantaine d’entreprises, syndicats, organisations, acteurs publics et experts, ainsi que le ministre délégué chargé des PME, les auteurs du rapport sont arrivés à un double constat paradoxal dès l’introduction du rapport : « cette crise a brutalement et durablement frappé la filière événementielle, la laissant presque exsangue, mais elle a révélé, en creux, toute l’importance que ce jeune secteur a pris dans l’économie de notre pays. Elle a ainsi favorisé une véritable prise de conscience des enjeux et des défis qu’il représente ».
Un rapport parlementaire articulé en deux parties
La première partie est consacrée aux constat des impacts de la crise sur la filière et revient sur la chronologie et l’étendue des restrictions depuis mars 2020. Il est ainsi rappelé que l’ensemble des mesures de fermeture des évènements et autres limitations sanitaires ont provoqué une perte de 16,8 milliards d’euros (Md€) pour la seule année 2020. Il est aussi fait mention des licenciements qui auraient progressé de 25 à 30 % dans la filière pendant la première phase de la crise faute d’aides soutenant les activités non directement frappées de fermeture (défaut heureusement corrigé à partir de l’automne 2020). Pour mieux prendre la mesure « des dégâts », un tableau recense les différents types de structures impactées par la crise avec pour chacune, les pertes 2020 et 2021. Les auteurs évoquent aussi ce qui fut le premier écueil à la prise en charge rapide des difficultés de la filière : la méconnaissance par les pouvoirs publics de l’étendue de l’ensemble de la chaîne de valeur et notamment l’inadaptation des codes APE/NAF.
Ce premier chapitre évoque aussi la capacité de rebond de la filière, et un certain nombre de pistes pour l’avenir, notamment les propositions d’Atout France pour la relance du secteur événementiel. Les mutations nécessaires telles que la prise en compte du développement durable dans l’organisation d’événements et le rôle du numérique sont étayés en rappelant les travaux de l’UNIMEV à ce sujet.
La seconde partie du rapport parlementaire étudie les défis à relever et les réponses qui pourraient être apportées pour mieux se préparer à affronter d’éventuelles autres pandémies.
La mission d’information a pu rencontrer, outre l’UNIMEV, plusieurs organisations et associations réunissant différents métiers de l’événementiel, comme Event 31, UNEMA à Marseille, Lille Events, l’UPSE, Synpase, ou des organisations plus spécialisées comme La Clé et l’OPRE. Créées pour certaines en réaction à la crise, elles ont offert à leurs adhérents un cadre d’échanges, de réflexion et de concertation avec les pouvoirs publics.
Les rapporteurs considèrent qu’il serait utile aujourd’hui de passer à l’étape supérieure en fédérant davantage ces organisations, afin de leur donner encore plus de force. Il ne s’agirait pas de fondre toutes les organisations professionnelles dans une seule. Leurs choix de se spécialiser ou d’englober différents métiers ont tous leur légitimité et leur utilité. Mais les parlementaires considèrent qu’une fédération de filière leur offrirait un cadre pour se concerter et se coordonner, qu’elle rendrait plus visible et plus lisible la diversité des métiers de la filière événementielle.
Les auteurs insistent également dans cette partie sur l’importance de reconnaitre et mieux évaluer le poids économique du secteur, mais aussi sur la nécessité de ne pas entraver la reprise annoncée en soulevant notamment le sujet sensible du remboursement des Prêts Garantis par l’Etat.
A la lumière des 80 pages de ce rapport très complet et ponctué d’exemples concrets, 16 propositions sont formulées pour que la filière événementielle soit davantage reconnue comme un rouage essentiel de notre économie, et qu’elle soit mieux armée pour affronter une nouvelle pandémie ou tout autre empêchement de travailler.
16 propositions pour mieux affronter l’avenir
- Proposition n° 1 : Ajouter à la liste S1 bis une catégorie « balai » d’activités réalisant au moins 50 % de leur chiffre d’affaires total avec des entreprises de différents secteurs inscrits en S1.
- Propositions n° 2 et 3 : Pour les services de l’État, les rapporteurs recommandent de : – tirer les enseignements de la gestion de la crise, qu’il s’agisse des expériences des services déconcentrés (afin de faire remonter les difficultés rencontrées, d’analyser les solutions apportées et de partager les bonnes pratiques) ou des arbitrages nationaux, de leurs réussites et de leurs carences. Des travaux tels que ceux menés par la Cour des comptes sur les mesures prises par le ministère du travail (Préserver l’emploi. Le ministère du travail face à la crise sanitaire, juillet 2021) pourraient être utilement réalisés sur d’autres ministères. – et construire les futures aides qui seraient nécessaires en concertation avec les acteurs économiques concernés, afin, en particulier, de bien identifier les divers secteurs et métiers les plus impactés.
- Proposition n° 4 : Favoriser la constitution d’une fédération interprofessionnelle des syndicats et organisations représentatives des métiers de l’événementiel (et des mariages).
- Proposition n° 5 : Désigner, le temps nécessaire à la gestion de la crise et de ses suites, un interlocuteur ministériel unique pour la filière événementielle. Une organisation interministérielle s’inspirant du Comité filière tourisme pourrait, a minima, être mise en place.
- Propositions n° 6 et 7 : – Prévoir, si une crise équivalente survient dans le futur, un dispositif public d’information et d’orientation des professionnels traitant de l’ensemble des aides nationales et décliné au niveau territorial (tout en garantissant la cohérence nationale des informations) ; – Évaluer les avantages et les risques comparatifs d’une offre d’accompagnement minimal au remplissage des formulaires de demande d’aide par rapport au système actuel de renseignement en ligne, avec contrôle automatique des incohérences et traitement manuel des rejets.
- Proposition n° 8 : À défaut d’une offre d’accompagnement public, en cas de nouvelle crise, il serait opportun de travailler à une meilleure coordination de l’action des partenaires des entreprises que sont les experts-comptables, banquiers, agences de développement économique, chambres de commerce et chambres des métiers au chevet des plus impactées.
- Proposition n° 9 : Affiner et compléter, le cas échéant, l’appareil statistique de l’État afin de mieux suivre l’écosystème événementiel et son poids économique.
- Propositions n° 10 et 11 : – Travailler, en concertation avec tous les secteurs et métiers de la filière événementielle, au renforcement des protocoles sanitaires dans l’objectif de limiter au maximum les (éventuelles prochaines) fermetures et annulations, ainsi qu’à l’affinement des règles en fonction de la nature des évènements et des prestations ; – Différencier notamment les seuils maximaux d’accueil applicables aux évènements professionnels (ou mixtes) de ceux des rassemblements culturels et sportifs.
- Proposition n° 12 : Adapter la référence de CA pour être éligible au nouveau dispositif « coûts fixes » aux entreprises dont les champs d’activité se sont diversifiés depuis 2019.
- Proposition n° 13 : Les rapporteurs considèrent primordial qu’un soutien spécifique soit apporté à la filière événementielle eu égard à la longueur de ses cycles de production (de la conception à la commercialisation). Il s’agit d’aider ses entreprises non plus à survivre mais à rebondir en leur offrant, le temps de sortir de la crise, la marge financière et le minimum de sécurité nécessaires à leurs réinvestissements. L’importance économique du secteur justifie une action et des moyens à la hauteur des enjeux.
- Proposition n° 14 : Les rapporteurs recommandent toutefois de conditionner, dans la mesure du possible, ces aides spécifiques à des efforts en termes de développement durable.
- Proposition n° 15 : Étudier la création d’un fonds de soutien ou de garantie ou d’un mécanisme assurantiel pour indemniser les pertes de recettes consécutives à des restrictions administratives ou des annulations en masse.
- Proposition n° 16 : Étudier le maintien, le temps que la reprise se stabilise, d’une prise en charge partielle des dépenses salariales pour les personnels rappelés ou recrutés afin de préparer un premier évènement, jusqu’à sa commercialisation.
Pour visualiser le document complet : Rapport d’information parlementaire sur l’événementiel
Corinne Vignon, députée engagée auprès des professionnels de l’événementiel
Nous avons donné la parole à Corinne Vignon, une des parlementaires impliqués dans ce travail, afin de mieux comprendre ce qui l’avait amené à se pencher sur les problématiques du secteur événementiel :
« J’ai travaillé en tant que directrice chez un traiteur français qui intervenait à l’international, entre autres pour le Barça. A ce titre, j’ai côtoyé des agences événementielles, des loueurs de matériel, des loueurs de salles, et j’ai pu mesurer toute la complexité de ces métiers.
Dès le début de la pandémie, en mars 2020, j’ai pu aborder à l’Assemblée Nationale les problèmes propres à la filière avec Alain Griset, alors ministre délégué aux Petites et Moyennes Entreprises. A l’évocation de l’événementiel, il m’a regardée avec des yeux ronds. J’ai alors eu l’impression de poser des questions qui n’appelaient comme réponse que « on va regarder »…
Codes NAF, ça commence et ça finit où ?
C’est en commençant à prendre des contacts avec des professionnels que je connaissais, que je me suis rendue compte de l’ampleur des « trous dans la raquette » des dispositifs d’aides : par exemple, les restaurants bénéficiaient d’aides à titre individuel, mais les « holdings » regroupant plusieurs établissements ne recevaient rien… Nous avons rapidement identifié le frein que constituait la multiplicité des Codes NAF non formatés : L’événementiel, ça commence et ça finit où ?
Un petit groupe s’est agrégé autour de tous ces sujets. J’ai beaucoup questionné, sur le montant des pertes, des aides et autres critères, pour porter les cas les plus urgents, dossier par dossier, à la DRFIP. A force de travailler sur des cas particuliers, il y’a eu une vraie prise de conscience du ministère sur les lacunes du dispositif d’aides. Beaucoup trop de professionnels n’ont pas reçu de soutien significatif entre mars et décembre 2020. Je dois avouer qu’à ce moment-là, la médiatisation a multiplié les sollicitations et le nombre de dossiers à traiter.
Aujourd’hui, ce n’est pas le moment de relâcher les efforts. Si le « quoi qu’il en coûte » s’arrête, le gouvernement n’a pas investi à ce point pour laisser couler les pépites. Sont particulièrement en danger, les entreprises ayant beaucoup investi en 2019 et qui doivent maintenant faire face au cumul des remboursements.
Le travail doit continuer
Il reste encore un vrai travail d’unification du secteur événementiel. Les acteurs importants sont identifiés et arrivent à se faire entendre, ce qui n’est pas forcément le cas de beaucoup de « petits ». Aujourd’hui, je souhaite que le travail que nous avons engagé ne soit pas sans lendemain. Pour cela il nous faut poursuivre notre démarche en deux grandes étapes :
1 – Monter un groupe de travail à l’assemblée nationale sur l’événementiel ;
2 – Porter une loi traitant vraiment des problématiques spécifiques au secteur, pour mieux anticiper en cas de nouvelle pandémie ou autre impossibilité de travailler.
Parmi les nombreux exemples de problématiques concrètes à résoudre, il y’a le cas des contrats CDDU (appelés plus communément les « extras ») qui n’ont pas été pris en compte. Faut-il créer un statut spécifique pour qu’à l’avenir cette catégorie ne soit pas laissée de côté et puisse bénéficier d’aides ?
Je peux toutefois vous affirmer que les services de Bercy travaillent à l’élaboration de nouveaux codes NAF, plus lisibles et regroupant l’ensemble des activités événementielles ».