Sophie Chénel, gérante de Procédés Chenel International, spécialiste du papier en exposition, inventeur du Drop-Paper, poursuit depuis 20 ans la tradition familiale de l’entreprise, résolument tournée vers l’international et la responsabilité humaine et environnementale. Un parcours exemplaire autour du papier en éphémère.
Eric Watiez : Bonjour Sophie, vous représentez la 4ème génération de la famille Chénel impliquée dans l’exposition. Comment cela commence-t-il ?
Sophie Chénel : Bonjour Eric, mon père Guy est en train d’écrire les mémoires de la famille qui va fêter les 120 ans de la maison cette année. Tout commence en 1896, avec mon arrière-grand-père Gilles Ranno, menuisier qui, pour échapper à la routine familiale, fait des expositions dans le monde entier.
Mon grand-père Pierre Chénel, classe 16 de la Grande Guerre, menuisier-électricien, prend la suite. Mon père, architecte et inventeur, développe ensuite l’entreprise sous le nom Chénel SA, entreprise d’installation générale employant jusqu’à 400 personnes.
1991 est une rupture importante avec la prise de pouvoir des syndicats, le dépôt de bilan et la revente à Olivier Ginon (Générale Location).
EW. Vous êtes aujourd’hui à la tête de la société, que se passe-t-il pour votre famille en 1991 ?
SC. Il existe une petite société, Procédés Chénel International, chargée de développer nos techniques à l’étranger. Mon père reprend cette société avec 9 personnes. En 1994, j’ai 27 ans et j’intègre l’entreprise familiale après des études d’art et de commerce international, et un passage en tant que secrétaire de direction dans une société informatique où je ne suis pas heureuse. Notre fratrie est composée de 5 enfants, je suis la dernière, mais je suis la seule à m’intéresser alors à notre entreprise.
EW. Comment se fait l’installation de la nouvelle structure Procédés Chénel International ?
SC. Tout le matériel est vendu avec la société Chénel SA ainsi que les locaux de stockage de Mitry-Mory. Une cinquantaine d’employés rejoignent GL.
Nous restons dans nos locaux de Vanves que nous rénovons et partageons aujourd’hui avec d’autres entreprises.
Pour moi il est simple d’intégrer cette société pleine d’idées, de brevets et d’inventions. Je ne cache pas mon admiration pour mon père, j’aurais souhaité être architecte comme lui, cela ne s’est pas fait. Pour l’anecdote, j’ai pris ma revanche il y a peu en présentant sous la Coupole des Beaux-Arts une cloison en papier innovante et que nous commercialisons avec succès.
EW. Que développez-vous en particulier ?
SC. J’ai un gros appétit pour l’international et je m’occupe très vite du réseau monté par mon père ainsi que la formation de nos distributeurs et la promotion de nos techniques. Les clients sont des standistes, également des commerciaux de structures très diverses trouvant un intérêt à travailler avec le papier et à abandonner le bois, ce sont des gens qui ont la double casquette artistique et commerciale en général.
Procédés Chénel est marquée depuis l’origine par le développement de notre savoir-faire à l’étranger, ainsi que par la constante amélioration des techniques d’exposition. Quand j’arrive, nous développons en Europe principalement, avec une envie qui me taraude de pénétrer le marché américain. C’est paradoxalement un marché très sclérosé, peu innovant et particulièrement limité par les trade-unions. J’y crois toujours. Je vais vraisemblablement réussir à mettre en œuvre cet objectif en travaillant avec le retail et les points de vente durables plutôt qu’avec l’exposition et l’éphémère.
EW. Comment se passe la cohabitation avec Guy votre père ?
SC. Mon père est retiré, bien que toujours physiquement présent et rêve toujours au « graal », c’est-à-dire la cloison magique ! Il est architecte DPLG, c’est un inventeur qui continue à développer ses propres matériels et il écrit ses mémoires, les 120 ans de l’entreprise.
Au début des années 90, il me fait vite confiance tout en me conseillant parfaitement et la prise en mains est très rapide. Il se met à la retraite en 1997 et me nomme gérante.
EW. Qu’apportez-vous alors à l’entreprise ? Quid de la création et de l’innovation ?
SC. N’étant pas technicienne, architecte ou architecte d’intérieur, j’apporte ma capacité à faire travailler les gens. Ce qui m’intéresse est de coordonner les expertises. Etant femme, je n’ai pas l’ego habituel dans l’entreprise, que j’ouvre à la création, je me mets au service des créateurs, je mets mes développements en œuvre avec des intervenants extérieurs.
L’innovation est notre baseline. Ce sont les créateurs qui viennent aujourd’hui nous proposer des projets à base de nos produits. J’ai une vraie complicité entre les designers, les écoles, les équipes pédagogiques et le réseau international. En résumé, être au cœur de toute cette alchimie est ce qui me plaît.
EW. Parlez-nous du papier qui est à la base de votre métier
SC. C’est une matière sur laquelle nous sommes très peu concurrencés. Nous développons le drop-paper en 1986, c’est une recette mise en place avec un industriel, pour laquelle nous avons l’exclusivité mondiale. Nous le déclinons sous de multiples formes et usages (cloisons, luminaires, mobilier, plafonds) toujours en non-feu. Nous produisons aussi d’autres papiers non-feu comme le kraft, le calque, le papier de soie. Nous sommes les seuls à proposer une gamme si étendue.
Du fait de notre diversité acquise, nous changeons de métier, nous sommes moins dans l’expo, moins contraints par des obligations de coût, de rapidité… et nous nous orientons vers le retail qui va utiliser nos papiers sur une durée plus longue que les 3 jours d’une expo.
Des créateurs ingénieux réussissent avec nous à rendre partiellement pérenne ce matériau autrefois jetable.
EW. Justement, vous semblez avoir une attention particulière au recyclage et à la réutilisation de vos produits papier…
SC. J’achète 23 tonnes de papier chaque année. Ce volume est mis sur le marché de l’éphémère, donc jeté ensuite, cela me pose un problème éthique. Mon produit phare ne se recycle pas. Je me pose la question de sa destination, c’est le sens de l’histoire, prochainement je devrai prouver ce que deviendra mon produit après utilisation, c’est une responsabilité qui me motive énormément.
Dans un premier temps, j’ai évoqué la question avec mes fournisseurs industriels de papier mais ce n’est pas leur problématique aujourd’hui. Après contacts et réflexions, j’ai développé le projet So Paper qui a consisté à proposer à 20 designers l’utilisation d’une benne de déchets papier. Nous avons exposé les résultats de cette initiative au Salon Maison & Objet. Outre le début de réponse à la problématique de recyclage, c’était une belle action de communication pour notre entreprise. L’exposition est maintenant itinérante, aujourd’hui en Bourgogne dans un magnifique château.
EW. Cela résout-il le traitement continu de vos déchets ?
SC. C’est évidemment difficile. Je développe aujourd’hui « la boîte mystère ». Un certain nombre d’étalagistes, d’écoles, d’associations… ont besoin de ce très beau papier qu’est le drop-paper. J’ai beaucoup de chutes à la découpe. Je propose des cartons de 1m3 de chutes à qui veut, je les vends 15€ pièce. Cet argent est pour l’association Clown Sans Frontières. C’est une responsabilité environnementale doublée d’un engagement humanitaire.
EW. Gérer la créativité, l’international, la responsabilité environnementale… cela se fait avec quelle équipe ?
SC. J’ai la chance d’avoir une équipe très rassurante et professionnelle composée de 20 personnes réparties en production et commercialisation. La création pure est apportée par nos clients. Nous sommes la « boîte à outils » des créateurs.
Je suis enfin responsable du Sustainable Comity (comité du développement durable) de l’IFES, fédération internationale des métiers de l’exposition. Je dépense alors de l’énergie pour que la convention annuelle de l’IFES soit la plus « sustainable » possible.
EW. Quel est votre désir professionnel le plus ardent aujourd’hui ?
SC. J’ai toujours cette attirance vers les Etats-Unis. Je pense ouvrir un bureau à Londres qui me permettra à terme de toucher ce marché. J’ai déjà ouvert une agence à Lyon, je vais dupliquer le modèle.
EW. Une anecdote pour conclure ?
SC. J’ai plein de joies et de galères inhérentes à mon métier.
Sur un salon à Sao Paulo, sans normes de sécurité, un incendie important s’est déclaré, j’ai cru ma dernière heure arrivée, ce qui aurait été un comble pour une spécialiste du papier non-feu !
Propos recueillis par Eric Watiez pour la Gazette des Salons
Cet article est extrait du Guide des Salons édité par la Gazette des Salons en juin 2016.